Lettre ouverte de Louise Druelle à Natacha Bouchart: Arrêtez de faire semblant de ne pas le savoir : Calais est sur la route de l’Angleterre et cela ne changera jamais.
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JUIN 7, 2017 PAR LOUPBLASTER
Lettre ouverte à Natacha Bouchart
Arrêtez de faire semblant de ne pas le savoir : Calais est sur la route de l’Angleterre et cela ne changera jamais.

Pour les exilés les raisons de tenter le passage à Calais sont toujours les mêmes : économique, familiale, linguistique, par volonté et parfois par dépit.

Beaucoup des personnes bloquées à Calais sont en contact avec leurs proches, des membres de leurs familles installés au Royaume-Uni où de nombreuses communautés se sont développées dans les grandes villes depuis des décennies. L’anglais, étant une langue internationale parlée par la plupart des exilés, il est bien plus aisé d’y trouver l’indépendance et de s’insérer dans la vie.

De plus, la chasse à l’homme visant les exilés à Calais, le harcèlement et les conditions déplorables, le manque d’accès à des besoins vitaux (eau, nourriture, hygiène…) pousse les personnes à vouloir atteindre l’autre rive, où ils espèrent pouvoir enfin trouver la dignité d’une vie humaine.

La politique actuelle vise à les décourager, nourrit la méfiance des exilés envers notre pays.

Tous les Calaisiens ne partagent pas cette politique du rejet.

En 20 ans, cette politique n’a rien apporté, sauf la division. Il y a à Calais toute une partie de la population qui accueille et construit la solidarité. Une population généreuse résiste, se bat avec peu de moyens pour la liberté de circulation et d’installation ici réprimée et pourtant inscrite dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Pour chaque manifestation de solidarité, vous invoquez un trouble à l’ordre public. Mais ce qui vous dérange c’est que nous exprimons notre désaccord et continuons d’affirmer nos valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et d’humanité.

De même, vous accusez « les associations d’instrumentaliser » les migrants. Alors que ces mêmes associations fonctionnent à 90% de dons privés et de l’action dévouée de bénévoles. Certains, historiques, ont servi notre ville depuis plus de deux décennies.

Si nous, les personnes solidaires, profitons effectivement de la présence des migrants à Calais, c’est bien pour l’enrichissement humain qu’elle nous apporte. Nous pensons que l’accueil pourrait aussi être vecteur d’emplois. La vie active employait 150 personnes, dont de nombreux jeunes qui se sont retrouvés sans emploi après le démantèlement de la jungle.

Sans compter les bars, restaurants, friteries, supermarchés, magasins de bricolage, hôtels qui profitaient de la fréquentation de ces nouvelles populations : migrants, bénévoles, artistes, chercheurs, journalistes, gendarmes et CRS. Tous consomment dans la ville.

Alors que vous souhaitez attirer les Anglais sur notre territoire, c’est la solidarité qui a amené le plus de visiteurs. Depuis l’été 2015, des milliers d’Anglais viennent donner de leur temps pour préparer des repas ou trier des vêtements près de Calais. Mais ils mettent rarement les pieds en centre-ville, se demandant si cette ville existe au-delà de ses crispations, faute d’une offre culturelle plus large.

Changer l’image de Calais : ouverture et vivre ensemble.

Ce qui a le plus abimé l’image de la ville, ce sont les grilles et les murs dont vous l’avez entourée. Combien de millions ont été dépensés dans cette surenchère sécuritaire, pour camoufler et rendre invisible les exilés au détriment de la recherche de solutions ? Accueillir dignement ceux qui en ont besoin, mener de grands projets d’aménagement, de rénovation, de cohésion sociale et de lutte contre la pauvreté… Aujourd’hui l’omniprésence des grilles et la présence policière a fait de Calais une ville prison : sous prétexte de nous protéger, on nous enferme et de nombreux Calaisiens étouffent. Sans compter sur les arrêtés anti-migrants qui achèvent de restreindre les libertés de tous.

En 20 ans, Calais s’est pourtant métissée. Beaucoup d’exilés ont finalement obtenu l’asile et sont passés de la vie du camp à celle d’habitants. Les populations apprennent à se connaître et se fréquentent.

Les exilés ont des talents et des savoir-faire (cuisine, ferronnerie, artisanat, bâtiment, musique…) des capacités sur lesquelles nous pourrions capitaliser. Ils ont la force de vivre car ils ont connus des vies dures. Ils sont une main-d’œuvre volontaire qui a soif d’apprendre et d’entreprendre.

De nombreux couples se sont formés et des enfants naissent dans des familles mixtes. Ces exilés installés et leurs enfants doivent-ils subir le racisme, les contrôles de police incessant et la stigmatisation ?

C’est aujourd’hui une guerre des nerfs qui s’est installée, et plus personne n’arrive à s’entendre. Une obsession qui paralyse la ville et c’est l’économie qui se fige. Alors que nous pourrions gérer la crise : avancer, travailler pour la cohésion, accepter la cohabitation car elle est inévitable.

Ainsi nous pourrions être fiers de nos identités : une ville multiculturelle, ouverte sur le monde, où l’on parle plusieurs langues. Calais pourrait être un carrefour international qui profiterait à tous, où chacun aurait la possibilité de trouver l’autonomie, d’investir, de développer des emplois locaux. Nous pourrions retisser le maillage social et trouver des solutions tous ensemble.

Car oui Madame Bouchart, tant que les Calaisiens n’auront pas retrouvé la joie de vivre ensemble, les touristes et étrangers déserteront toujours la ville.